Bonjour à tous et toutes, Dans ce post, je m'adresse aux apprenants clavecinistes. Quand on joue la musique française, il y a un élément très important car constitutif de ce style, l'inégalité. Aussi je vous propose dans un premier temps d'expliquer ce que c'est, puis de vous faire écouter des exemples et enfin de vous proposer un petit exercice pour la travailler (avec audio). Qu'est-ce que l'inégalité? Voilà comment Michel de Saint-Lambert explique cette notion dans "Les Principes du Clavecin Contenant une Explication exacte de tout ce qui concerne la Tablature & le Clavier", Paris, 1702, p. 60 et 61 : « Cette égalité de mouvement que nous demandons dans les Notes d’une même valeur ne s’observe pas dans les Croches, quand il y en a plusieurs de suite. On a coûtume d’en faire une longue & une bréve successivement, parce que cette inégalité leur donne plus de grace. […]. Cependant cette inégalité de plusieurs Croches de suite, ne s’observe plus dans les Piéces dont la Mesure est à quatre temps, comme par exemple dans les Allemandes, à cause de la lenteur du mouvement. Alors l’inégalité tombe sur les doubles croches, s’il y en a. » Par exemple, dans cette sarabande de Louis Couperin, toutes les croches seront jouées "longue-brève". Par contre, dans cette Allemande de Rameau, ce sont les doubles-croches que l'on jouera inégales. La notation rythmique écrite et sa réalisation effective ne sont donc pas cohérentes, ce qui est trompeur pour le musicien non averti. C'est ce qu'explique François Couperin dans son Art de toucher le clavecin (Paris, 1716 et 1717) « J’ai cru qu’il ne seroit pas inutile de dire un mot sur les mouvemens françois, et la diffèrence qu’ils ont avec ceux des Italiens. Il y a selon moy dans notre façon d’ecrire la musique, des deffauts qui se raportent à la manière d’ècrire notre langue. C’est que nous ècrivons diffèremment de ce que nous èxècutons ; ce qui fait que les ètrangers joüent notre musique moins bien que nous ne fesons la leur. Au contraire les Italiens ècrivent leur musique dans les vrayes valeurs qu’ils l’ont pensèe. Par exemple. Nous pointons plusieurs croches de suite par degrés-conjoints ; Et cependant nous les marquons ègales ; notre usage nous a asservis ; Et nous continüons. » Il est intéressant de voir que quand des compositeurs étrangers comme Jean-Sébastien Bach, Henry Purcell ou Telemann écrivent dans le style français, ils s'appliquent à noter des rythmes pointés. Ceci pour clarifier la manière de faire auprès de leurs compatriotes. D'où vient ce principe d' inégalité dans la musique française? La prononciation de la langue française a l'époque baroque a naturellement une inégalité rythmique, qu'on retrouve dans le chant. Or les instruments doivent imiter le chant, donc.... Y-a-t-il une seule sorte d'inégalité pour toutes les pièces? Non, il y a au contraire des possibilités de moduler l'inégalité pour l'adapter au caractère de la pièce (ressenti par l'interprète ou explicité clairement par le compositeur, par exemple un morceau noté "tendrement" n'appellera pas la même inégalité qu'un morceau noté "fièrement" ou "hardiment") A noter aussi que dans certains passages, l'on peut faire ce que l'on appelle un rythme lombard, c'est-à-dire inverser l'inégalité et jouer brève-longue. Toutes les pièces sont-elles à jouer inégales? Non. Ne sont pas à jouer inégales : - Les pièces ternaires de mesure 3/8, 6/8, 9/8 ou 12/8 : ce qui est logique puisque "longue-brève" est une paire, cela ne marche pas avec les groupes de 3 croches. - les pièces très rapides : cela donnerait un jeu boiteux et laborieux. Parfois le compositeur veut les notes égales et le signale, comme ici, dans un extrait des Folies Françaises de François Couperin (La langueur sous le domino violet): A l'intérieur d'un même morceau, faut-il changer l'inégalité? Il y a des débats là-dessus entre les interprètes : certains vont dire "oui, pour éviter la monotonie", d'autres "non, dans les exemples justement de compositeurs étrangers, ils écrivent toujours le même rythme", ce à quoi d'autres encore pourraient répondre "peut-être, mais rien ne dit qu'un même rythme écrit appelle une même réalisation, peut-être les compositeurs sont-ils restés neutres pour laisser la latitude à l'interprète de varier". On s'accorde en général à penser que l'inégalité se prête mieux aux formules mélodiques conjointes qu'aux formules de remplissage harmonique (très fréquentes dans la musique française, avec le style luthé où les accords sont égrenés au lieu d'être posés d'un bloc) Important : l'inégalité est une notion très subtile et je ne prétends pas ici répondre à l'ensemble des questionnements qui peuvent se poser ou des situations qui peuvent survenir, juste vous sensibiliser à la question. ECOUTE COMPAREE Je trouve qu'une bonne porte d'entrée pour la compréhension de l'inégalité est de l'entendre dans le répertoire. Je vous propose donc d'écouter l'Exquise de François Couperin (4e Livre, 27e ordre) dans deux interprétations. Vous pouvez trouver la partition sur imslp, édition l'Oiseau-Lyre p.132. Comparons le tout début de la pièce: D'un côté, Brice Sailly : on entend dès le départ dans la main droite une inégalité "classique" (longue-brève donc, pour la levée), suivie de deux rythmes lombards puis une inégalité plus marquée car précédée d'une sorte de suspension expressive. De l'autre côté, Béatrice Martin, qui choisit une inégalité d'allure plus régulière et uniquement de type longue-brève. Il serait trop long de comparer note à note tout le morceau, mais on comprend bien en écoutant ces deux versions que l'inégalité est un trait d'interprétation assez déterminant, qui change l'allure de la pièce. Voici une dernière version , celle d'une pianiste. Elle, n'inégalise pas, mais fait du rubato, c'est-à-dire allonger certaines notes, accélérer, décélérer, d'une manière assez subtile. Son interprétation est charmante et délicate, mais stylistiquement parlant on n'est pas dans une allemande "à la française" puisqu'il n'ya pas d'inégalité. EXERCICE Le plus simple pour appréhender la notion d'inégalité est de s'entraîner sur des formules simples, de manière à vous concentrer sur cet aspect sans être préoccupés par des questions d'altérations, de doigté, de repères dans le clavier etc. Voici ci-dessous un petit exercice créé pour vous. Suivez bien les consignes. Pour phraser par deux, il convient de bien lier ce qui est dans la liaison et de détacher entre les liaisons. Dans l'exemple de la première ligne, il y a donc une petite coupure entre ré et mi, fa et sol, fa et mi, ré et do. Vous remarquerez que ce type d'articulation crée déjà une très très légère inégalité qui est plutôt un effet auditif : l'oreille entend lié-coupé, lié-coupé et le traduit en long-court, alors que dans le premier exemple, tout étant lié, les croches sont perçues de longueur parfaitement égale. Vous pouvez garder ce phrasé également dans la deuxième ligne ou jouer tout lié. Les rythmes que j'ai écrits sont là pour vous aider, mais il n'y a pas assez de rythmes existants pour montrer toutes les variantes que l'on peut faire, de l'inégalité la plus douce à la plus agressive. C'est d'ailleurs un des intérêts de la notation choisie par les compositeurs français : en ne vous indiquant pas le type d'inégalité à faire, ils vous laissent plus de marge de liberté et toute la palette à disposition, alors que des rythmes très précis auraient tendance à vous formater. C'est un peu comme les ornements, en les laissant "en signe" , l'interprète est beaucoup plus libre que s'ils étaient indiqués "en toutes notes". Voici deux audios pour vous aider: Un premier en tempo lent : Un deuxième en tempo plus rapide: Une fois que vous avez saisi et bien travaillé ces variantes, essayez d'appliquer cela dans vos morceaux, en commençant par des morceaux simples.
Je vous souhaite un bon travail et à une prochaine fois!
0 Commentaires
|
A proposParce que j'ai toujours aimé écrire. Et partager ma passion de la musique..... Categories
Tous
|