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Aujourd'hui, j'avais envie de faire un petit topo "jeu du clavecin" sur la façon de jouer correctement et surtout avec expression les ports de voix et ports de voix et pincés. Pourquoi cette idée d'en parler aujourd'hui? Parce que je rectifie cet ornement très souvent chez mes élèves et que du coup je me suis dit que cela pourrait servir à d'autres apprenants! Alors de quoi est-il question? Le port de voix est un ornement donc un embellissement de la mélodie comme on en trouve beaucoup dans la musique baroque, qui raffole de ces petites notes. C'est un ornement qui vient du chant (la musique instrumentale a eu comme modèle le chant, rien d'étonnant donc). Jean-Jacques Rousseau dans son dictionnaire de musique en 1767 le présente ainsi : "Agrément du chant, lequel se marque par une petite note, appelée en italien appoggiatura, et se pratique en montant diatoniquement d’une note à celle qui la suit par un coup de gosier" On parle aussi dans plusieurs traités d'un glissement de la voix exécuté grâce un coup du gosier moelleux et faisant une liaison légère entre les deux notes. Dans la musique pour clavecin, le port de voix (parfois aussi appelé "chute") est très souvent accompagné d'un pincé, autre ornement courant. Voici différents signes pour noter cet ornement "combiné", si je puis l'appeler ainsi: C'est donc un système de notation qui allie notes et symboles. Je vous invite déjà à garder ce petit mémo dans un coin pour bien les reconnaître dans vos partitions malgré la diversité des façons de le noter (hé oui c'est l'anti-mondialisation, chacun faisait selon la mode de chez lui). Par chance, les compositeurs ont aussi parfois indiqué la manière de faire dans leurs traités ou leurs tables d'ornements. Par exemple, Gaspard Le Roux, compositeur de la seconde moitié du XVIIe siècle : On remarque les proportions de durée des notes, le "si" en double est plus long que les deux notes suivantes ("do si") qui sont très rapides et le do final, à nouveau plus long, donne un petit point d'arrêt avant d'enchaîner à la suite. Or, l'erreur que j'entends souvent chez les apprentis clavecinistes est de faire une sorte de trille à l'envers, "sidosido" joué vite et régulier, sans respecter ces proportions. On y perd quoi? L'expressivité du port de voix, qui très souvent constitue une dissonance avec la basse, alors que le point d'arrêt final est une consonance. Si on passe trop vite l'on n'entend pas cette dissonance et on n'en a pas du tout l'effet suave. Et je dirais même que ça ne suffit pas de jouer un peu plus longue cette première note, il faut aussi l'appuyer plus fortement, puis détendre la main pour faire le pincé qui va être plus léger. Ce qui veut dire que dans l'exemple de Leroux on va avoir deux "si" d'affilée (celui en toutes notes et le port de voix noté en signe) et ils n'auront pas la même qualité de toucher, le deuxième devra être plus appuyé. Carl Philipp Emmanuel Bach, dans son Essai sur la véritable manière de jouer les instruments à clavier, en fait mention dans la première partie de cette phrase: Vous me direz : "c'est un clavecin on ne peut pas jouer plus fort". Hé ben si, je vous assure qu'on peut créer une différence sensible, entraînez-vous à presser plus la touche (comme si vous essayiez d'imprimer votre empreinte digitale de la manière la plus nette possible dans de la pâte à modeler) puis détendre pour le pincé, vous verrez! Et la deuxième partie de la phrase est intéressante aussi car on la retrouve chez plusieurs compositeurs : quand vous faites un port de voix sans le pincé derrière, il faut surlier, c'est à dire laisser le doigt traîner un peu sur la note suivante. C'est ce que CPE Bach appelle "couler" la note, c'est la raison de l'emploi de la liaison dans l'exemple de Gaspard le Roux et c'est ce que nous montre très clairement Rameau dans cet exemple. Vous voyez ce "si" lié qui traîne sur le "do"? C'est en fait très logique si on repense à l'idée du coup de gosier du chant (ça c'est pour le côté appuyé) et du glissement avec la liaison légère (ça c'est pour le côté surlié), c'est une transposition avec les moyens du clavecin de l'effet voulu dans le chant. Et maintenant si on parlait un peu de quand placer ce port de voix par rapport à la basse? (haha, le sujet épineux qui demanderait 10 pages à lui tout seul...mais on va essayer!) Dans la première moitié du XVIIe siècle et même un peu plus , le port de voix arrive avant le temps. Comme ici chez Nivers (Premier Livre d'orgue 1665). Très souvent, les apprenants clavecinistes oublient cette façon de faire, j'invite donc à lire la table d'ornements s'il y en a une pour vérifier et à essayer d'écouter plusieurs enregistrements de la pièce avec la partition en main pour vous mettre dans l'oreille ce que cela donne (en priant que le claveciniste ait fait son travail de recherche). Dans la seconde moitié du XVIIe, on l'a vu chez Leroux, les exemples montrent qu'on place le port de voix plutôt sur le temps, donc en même temps que la basse. Daquin, lui, propose même de le jouer légèrement après la basse (ce qui rajoute encore au côté suave). Le glissement ne s'est pas fait d'un coup -tiens le 16 décembre 1666 fini le port de voix avant le temps- ce serait trop beau, donc il faut creuser un peu pour savoir si le compositeur écrit dans l'ancienne manière ou dans la nouvelle! Allez, on se quitte avec une pièce pleine de ces petits ornements charmants, auxquels je l'espère vous prêterez une oreille encore plus attentive! Bon travail !
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