Comme je vous le disais, j’ai été recrutée en tant que continuiste par l’académie européenne d’Ambronay (Ambronay, situé à 30 minutes en train de Lyon, petit coin tranquille en apparence, mais qui abrite en fait un des festivals les plus importants pour la musique baroque).
Au programme, l’opéra Orfeo, de Monteverdi. Je dis opéra, mais le terme exact serait « Favola in musica », soit « fable en musique ». L’Orfeo, c’est l’histoire du célèbre musicien Orphée, capable par son talent de faire pleurer les pierres et endormir les bêtes les plus féroces, qui perd sa femme Eurydice le jour de ses noces, celle-ci ayant été piquée par un serpent alors qu’elle cueillait des fleurs avec ses suivantes. Fou de douleur, il se révolte contre la fatalité et, accompagné d’Espérance, décide de descendre aux Enfers reprendre sa bien-aimée. Il surmonte tous les obstacles - notamment le nocher Charon, pas forcément bien disposé à le faire passer sur la rive des ombres -, apitoie Proserpine, femme de Pluton, roi des Enfers. Proserpine obtient qu’il puisse ramener sa femme parmi les vivants, à une condition : ne pas la regarder avant d’avoir atteint l’air libre. Cette condition, Orphée ne la respectera pas : moitié par trop d’amour, moitié par un coup du Destin (un bruit effroyable lui fait craindre le pire pour Eurydice. Pas très malin quand on sait qu’elle est déjà morte, mais bon…), il se retourne au moment où il arrive en haut. Il n’a que le temps de revoir les beaux yeux de sa femme avant que celle-ci ne s’évapore, retournant parmi les ombres pour toujours. Orphée, dépité, se détourne des femmes et offense par son attitude les Ménades, femmes-harpies qui le mettent en pièces.Enfin, ça c'est la fin originale de l'histoire. Tout comme pour Hollywood aujourd’hui, Monteverdi a dû trouver pour la Cour de Mantoue un dénouement moins tragique. Orphée ne retrouve pas sa femme, mais il est emmené au ciel par Apollon, son père, et devient immortel. Il pourra voir Eurydice dans les étoiles, à défaut de la serrer dans ses bras. Un beau mythe donc, avec du pastoral (les bergers qui chantent le mariage d’Orphée), du tragique (l’annonce de la Messagère), du surnaturel (les Enfers) et des états opposés : l’amour, la mort, l’espoir, l’accablement ou le triomphe. Bref, avec tous les ingrédients dont un compositeur a besoin pour faire un magnifique opéra, surtout quand ce compositeur s’appelle Monteverdi. Ce dernier s’est basé sur un livret du poète Alessandro Striggio (v. 1573-1630), fils du compositeur de même nom, Alessandro Striggio (v. 1540-1592) pour écrire son oeuvre. Après une représentation préliminaire à l'Accademia degl'Invaghiti, l’Orfeo fut joué le 24 février 1607 pour l'ouverture du Carnaval au Théâtre de la Cour de Vincent Ier de Mantoue et redonné le 1er mars. La partition fut éditée en 1609 et rééditée en 1615 par Monteverdi lui-même, à Venise, chose assez exceptionnelle. Voilà pour resituer l’œuvre. Et donc, 406 ans plus tard (!), nous, jeunes musiciens sélectionnés dans toute l’Europe, nous allons en proposer notre interprétation. En toute modestie, car des monstres sont passés avant nous : Nikolaus Harnoncourt, Rinaldo Alessandrini, Gabriel Garrido entre autres, mais avec enthousiasme. Avant la première représentation qui aura lieu au Théâtre de Bourg-en-Bresse début octobre, nous avons évidemment besoin de répéter. Des répétitions organisées en deux volets, une première série a eu lieu en avril pendant 10 jours, la deuxième s’étalera sur 3 semaines en septembre. Pour la première phase du travail, seuls étaient présents les chanteurs solistes et les instruments du continuo (clavecin, orgue, épinette italienne, luth, archiluth, harpe, viole de gambe). Le chœur et l’orchestre s’ajouteront en septembre. Nous étions encadrés par Leonardo Garcia Alarcon, notre chef d’orchestre, son assistant Pierre-Louis Retat, une spécialiste de prononciation italienne et l’équipe s’occupant de la mise en scène (Laurent Brethome - Fabien Albanèse) et de la chorégraphie (Yan Raballand). Sans compter le staff de l’Académie, aux petits soins, et notre cuisinier préféré qui nous a fait prendre 3 kilos chacun, mais avec beaucoup de plaisir. La journée - type de travail était la suivante : - échauffement corporel/ exercices sur un thème (gérer l’espace, la sincérité, la mémoire) plus travail individuel des chanteurs le matin - deux fois 3 heures de répétitions en tutti ou en partiels l’après-midi Les différents objectifs de cette première série de répétitions étaient : - D’avoir un premier aperçu de l’œuvre dans sa globalité: que se passe-t-il pour les différents personnages ? Par quels états psychologiques passent-ils ? Comment les différents moments musicaux s’enchaînent-ils ? Avec quels tempi, quels caractères ? - De créer un continuo solide, avec des instrumentistes à l’écoute des uns des autres, à l’écoute des chanteurs et réactifs vis-à-vis des indications et des volontés du chef. Leonardo nous a d’ailleurs demandé d’ici septembre de connaître l’œuvre au maximum par cœur pour optimiser tout cela. - De pousser les chanteurs à aller au maximum de leurs possibilités au niveau de la diction, de l’expression, de l’incarnation de leur personnage. - D’utiliser les différentes instrumentations possibles afin de créer des ambiances musicales variées, qui soient presque des tableaux dans lesquels le personnage vient évoluer, se fondre ou au contraire effacer d’un geste ou de sa première note. - De définir les grandes lignes de la mise en scène pour les chanteurs gestuelle, attitude, déplacements, prise d’espace, interactions. La coach d’italien était là pour veiller d’une part à ce que les chanteurs aient une prononciation optimale, mais aussi à ce qu’ils se servent de la prosodie pour savoir comment chanter leur ligne, celle-ci en définissant le rythme, les inflexions, les accents, le débit. Pour moi qui ne suis pas italianisante, c’était très intéressant d’écouter ses cours. Nous avons eu également le plaisir d’avoir une masterclass de l’argentin Victor Torres, rôle-titre de la version de Gabriel Garrido. Un grand monsieur - dans tous les sens du terme - qui avec bienveillance a distribué ses conseils aux chanteurs, insistant sur le texte justement, le souffle (garder la ligne, toujours) et l’esprit (ne pas seulement chanter, mais être celui que l’on chante). A la fin de la session, nous avons fait deux filages complets de l’œuvre, ce qui nous a permis de voir ce qui allait, ce qu’il restait à travailler mais aussi, grâce aux vidéos qui ont été faites, d’avoir un support de travail pour les mois qui restent avant la reprise des répétitions. La musique italienne de cette époque est assez difficile à accompagner, les affetti (les sentiments) changent très rapidement. Il y a beaucoup de récits qui sont plus ou moins libres, où il faut être constamment aux aguets, en suivant d’un œil le texte pour placer l’accord sur la syllabe qu’il faut, de l’autre les indications du chef, et du troisième (sans loucher !) le reste du continuo pour être bien ensemble. Sans compter qu’avec mes collègues claviéristes, Jacopo et Alessandro (hé oui, des italiens, gros avantage pour eux), nous changions constamment d’instrument : une fois à l’orgue, une fois à l’épinette, une fois au clavecin, ce qui veut dire ne jouer ni la même chose (chaque instrument a ses tropes de réalisation), ni intervenir au même moment. Ma partition est tellement recouverte d’annotations qu’elle est noire pour la musique, grise pour les chiffrages, rouge pour les nuances, bleue pour les Tacet (=arrêter de jouer), violette pour l’instrumentation, mais plus blanche du tout ! L’exigence, la précision du chef sont essentielles pour ce genre d’œuvre, mais ce n’est pas un souci, Leonardo Garcia Alarcon n’en manque pas. Il nous a tous poussés dans nos retranchements et je ne pense pas qu’il en sera autrement en septembre, alors je compte bien, une fois que je serais rentrée du festival d’Aix-en-Provence, emmener ma partition à la plage pour plancher dessus… Enfin, parce qu’il n’y a pas que la musique qui compte dans ce type d’académie, il faudrait que je vous raconte l’expérience que c’est de vivre en groupe, quasi coupés du monde (ah, le calme d’Ambronay !), mangeant ensemble, jouant ensemble, dormant ensemble (bon, pas tous ensemble, hein, juste en chambres doubles) pendant des jours et des jours. Ca vous fait penser à Loft story ? Tttt, rien à voir, parce que ce qui nous a réunis à Ambronay, ce n’est pas l’ennui, c’est la musique. Une musique très chargée émotionnellement en plus. La partager crée des liens forts et je dois dire qu’après avoir regagné mes pénates, la mélancolie de la séparation m’a suivie quelques semaines. Il faudrait que je vous raconte, je disais. Hé bien, en fait non, je garde mes souvenirs, surtout que ce n’est que le début de l’histoire…un peu de mystère quand même, je ne vais pas tout vous dévoiler ! A suivre….
2 Commentaires
C'est avec beaucoup de joie, encore que bien fatiguée, que je vous annonce que je suis désormais titulaire du Certificat d'aptitude à l'enseignement (musique ancienne), l'équivalent-pour simplifier- de l'agrégation.
Me reste donc dans les années qui viennent à trouver un poste de professeur en Conservatoire et passer le concours de la fonction publique quand il aura lieu. En attendant je garde mes élèves en cours particuliers et je continue plus que jamais mes activités de musicienne (agenda de concerts mis à jour récemment). Cela veut dire aussi que je vais enfin pouvoir m'atteler à de nouveaux articles. A très bientôt alors.... |
A proposParce que j'ai toujours aimé écrire. Et partager ma passion de la musique..... Categories
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