Après l'explication historique et théorique assez succinte de la première partie de ce post consacré aux agréments, passons à la pratique !
Il est intéressant de lire ce qu'écrit François Couperin à ce sujet dans l’Art de toucher le clavecin. I) Choix du doigté : Je précise pour qu’il n’y ait pas de confusion que le 1er doigt est le pouce, le 2ème l’index, 3ème majeur etc. Chez presque tout le monde, les 1ers, 2ème et 3ème doigts sont plus forts que les 3ème et 4ème doigts, c’est pourquoi ce sont eux que l'on utilise le plus souvent pour faire les ornements. « Les tremblements les plus usités de la main droite se font du 3ème doigt avec le second. Ceux de la main gauche se font du premier doigt avec le second ; et du 2ème et 3ème » (comme vous pouvez le remarquer, on utilise des doigts voisins). Néanmoins, je ne peux que vous recommander de prendre en compte la remarque suivante : « Il serait très utile de pouvoir exercer les jeunes personnes à faire des tremblements de tous les doigts : mais comme cela dépend de la disposition naturelle ; et que quelques unes ont plus ou moins de liberté et de force de certains doigts ; il faut laisser ce choix aux personnes qui les instruisent.» En effet, si vous vous astreignez à utiliser dès que possible les doigts faibles - c’est-à-dire à faire des tremblements avec 4-3 et 5-4 - ces doigts vont se renforcer, se délier et le jour où vous devrez nécessairement les faire ainsi (chez Bach par exemple, on trouve souvent des accords avec un ornement : le pouce et le 2ème sont déjà utilisés, il ne reste plus que 3-4 et 5), vous serez bien contents d'avoir fait ce travail, je peux vous le dire! II) Comment travailler les ornements. L’essentiel est de pouvoir contrôler les battements de manière à ce qu'ils soient réguliers, quelle que soit leur vitesse. Voici quelques petits exercices à faire régulièrement pendant quelques minutes. - Premier exercice : Prenons par exemple un tremblement sur ré avec le 3ème et le 2ème doigt de la main droite, ce qui donne mi-ré-mi-ré (3-2-3-2). - Détendez bien les épaules, la main. -Commencez par des battements très lents en veillant à une égalité parfaite des doigts. -Quand vous êtes à l'aise, augmentez progressivement le tempo. Si j’essaie de mesurer cet exercice rythmiquement, cela donnerait à peu près les vitesses de battements suivantes : croches puis triolets puis doubles- croches etc. -Changez de doigté, faites de même avec 4-3 puis 5-4. Ensuite la main gauche, 1-2 puis 2-3, puis (mais là ca restera rarissime) 3-4 et 4-5 - 2ème exercice Montez rapidement une gamme en faisant un tremblement court sur chacune des notes. Par exemple : ré-do-ré-do, mi-ré-mi-ré, fa-mi-fa-mi etc. Laissez faire le poids de la main, pensez juste très clairement les notes dans votre tête. -3ème exercice Travaillez en pression/ détente : vous enfoncez les 2 touches concernées par le tremblements, puis vous exercez une pression (légère !) dans le fond du clavier, un doigt après l’autre, et relâchez aussitôt. Ca donne par exemple 3 (pression-détente)-2 (pression-détente)-3 (pression-détente)-2(pression-détente). Même consigne que pour le premier exercice: accélérez progressivement et soyez très réguliers. Ne me demandez pas pourquoi, mais ca donne une certaine vivacité aux doigts (vous pouvez utiliser le même principe pour des traits rapides) Quelques astuces supplémentaires : - Parlez le rythme en même temps que vous faites l’ornement, soit en disant le nom des notes, soit en trouvant l’onomatopée qui vous convient (famifami ou padapada ou takataka par exemple pour les tremblements, famifa ou takata pour les pincés). L’essentiel est que la diction soit précise et incisive. -Veillez toujours à la détente de la main, des doigts, de la mâchoire, bref de tout le corps. -Faites attention à ce que le toucher de votre instrument ne soit assez léger au début, de manière à ce que vous ayiez peu d’effort musculaire à faire. - Et à l'attention des enseignants: pour faire sentir l'effet de l'ornement à vos élèves, n'hésitez pas à le faire sur son bras ou sa main (sauf si le contact physique pose problème, par exemple en cas de grande timidité ou de crise d'adolescence aiguë). Une fois que vos doigts sont déliés, que les ornements vous semblent faciles et que vous pouvez les faire et dans la lenteur et dans la vitesse, hé bien….il ne vous reste plus qu’à raffiner le tout! III) Pour une belle exécution: Pour éviter l’effet machine à coudre ou mitraillette (takatakatakata), spécialement sur les ornements longs, voici les recommandations de Couperin : « Quoique les tremblements soient marqués égaux…ils doivent cependant commencer plus lentement qu’ils ne finissent ; mais cette gradation doit être imperceptible » « Les tremblements d’une valeur un peu considérable, renferment trois objets, qui dans l’exécution ne paraissent qu’une même chose. 1) L’appui qui se doit former sur la note au-dessus de l’essentielle. 2) Les battements. 3) Le point d’arrêt ». Autrement dit, il faut soigner l’appui de la première note en la posant bien sur le temps et en la faisant durer un peu, puis faire les battements en accélérant légèrement (mais en restant régulier) puis arrêter l’ornement bien nettement. Et le tout de manière très naturelle, s'il vous plaît! Bien entendu la vitesse et le nombre de battements de l’ornement doit être choisi. - en fonction de la valeur rythmique sur laquelle il est placé, qui nous laisse plus ou moins de temps pour développer l'ornement. - en fonction du caractère général et du tempo de la pièce (des ornements très vifs font bon effet dans un morceau rapide et gai, pas dans une pièce tendre ou mélancolique). Variez ces paramètres avec bon goût de manière à éviter une routine sonore qui peut vite être agaçante. Voilà, à vous de jouer....
2 Commentaires
Dans ce sujet, je proposerai dans une première partie un aperçu théorique de la notion d'agréments et ensuite, je passerai à la pratique en donnant quelques conseils pour bien les exécuter au clavecin.
Les ornements sont l'essence même de la musique vocale et instrumentale baroque : placés judicieusement, ils embellissent et enrichissent la mélodie. Issus pour la majorité du chant, ils ont été transposés aux instruments. Pour les instruments à cordes pincées comme le clavecin et le luth, ils ont également pour fonction de prolonger la durée du son et de donner une impression de nuance par l'accumulation de notes très rapprochées. On utilise souvent les termes "ornements" et "agréments" comme synonymes, pourtant on peut effectuer une distinction: -Les agréments sont des petits signes placés au-dessus ou en-dessous des notes, écrits par le compositeur et que l’on doit impérativement jouer, chacun ne concernant qu’une seule note. Ce sont plutôt à eux que je vais m'intéresser dans la seconde partie. -A l’inverse, les ornements, constitués le plus souvent d’une grande quantité de notes intercalées entre les notes principales d’une mélodie, sont facultatifs et livrés au talent et à la faculté d’improvisation de l’interprète On les trouve principalement dans les mouvements lents, dans les reprises (art du "double") des pièces et dans le cas des "cadences" (=improvisation virtuose, comme dans le 5ème concerto brandebourgeois de J.S Bach). Le premier problème posé par les agréments est que les signes employés pour en marquer la place et la nature varient selon les époques, les lieux, et les auteurs. Cela a obligé dès le XVIIe siècle les compositeurs aussi bien que les théoriciens à rédiger des tables explicatives, qu'ils plaçaient en tête de leurs pièces ou de leurs traités. Vous en avez deux exemples ci-dessous: - par d'Anglebert, claveciniste français, 1689 -par Wilhem Friedmann Bach, claveciniste allemand, 1720
Comparées l'une à l'autre, ces tables se contredisent très souvent.
Prenons par exemple le trait oblique incliné, /, simple ou double, dirigé en montant vers la droite ou vers la gauche, il exprime à la même époque chez des auteurs différents tantôt l'appogiature ascendante ou descendante, tantôt l'arpeggio, tantôt le mordant supérieur ou inférieur, tantôt un trille court, avec et sans terminaison en grupetto, tantôt enfin, comme à l'époque moderne, le vibrato, tremolo, ou répétition rapide d'une même note. Il faut donc étudier chaque signe d'ornement dans les manuscrits ou les éditions anciennes et le traduire de la bonne manière avec les indications de l'auteur, si on les possède, ou de ses contemporains et compatriotes. Cela prend du temps car ils sont nombreux : L’Affilard (1635) énumère douze variétés d’agrément, d’Anglebert (1689) et Couperin (1717), chacun vingt-sept! Pour autant, c'est nécessaire car nombreux sont les compositeurs à se plaindre de la mauvaise exécution ou de la négligence des interprètes à ce sujet: -- Ainsi Praetorius, en 1619, assigne au luth, au théorbe, à la harpe, au dessus de viole, au violon italien, le rôle d'instruments devant orner, et aux basses et autres lourds instruments, le rôle d'accompagnateurs, chargés de suivre ou de doubler le chant. Il recommande aux premiers de ne pas abuser de leur talent, de ne pas varier, diminuer et orner tout le long d'un morceau, ce qui trouble l'auditeur et cause une confusion fâcheuse lorsque les virtuoses ne se cèdent pas l'un à l'autre de temps en temps le tour de briller et qu'ils accumulent à la fois leurs accents, leurs trilles, leurs passages. -François Couperin, dans la Préface de son Troisième Livre de pièces pour clavecin, écrit: "Je suis toujours surpris (apres les soins que je le suis donné pour marquer les agrémens qui conviennent à mes Pièces, dont j'ay donné, à part, une explication assés intelligible dans une Méthode particulière, connue sous le titre de L'art de toucher le Clavecin), d'entendre des personnes qui les ont aprises sans s'y assujetir. C'est une négligence qui n'est point pardonnable d'autant qu'il n'est point arbitraire d'y mettre tels agrémens qu'on veut.Je déclare donc que mes pièces doivent être exécutées comme je les ay marquées, et qu'elles ne feront jamais une certaine impression sur les personnes qui ont le gout vray tant qu'on n'observera pas à la lettre tout ce que j'y ay marqué, sans augmentation ni diminution" |
A proposParce que j'ai toujours aimé écrire. Et partager ma passion de la musique..... Categories
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