Me voilà de retour sur ce blog. Je suis rentrée de ma tournée il y a un bon mois maintenant. C'était une expérience que je n'oublierai pas de sitôt : un beau spectacle, une équipe jeune, dynamique et talentueuse avec qui j'ai eu plaisir à travailler, une musique que j'adore... Pour vous donner une idée, voici quelques photos. Le retour à la vie "normale" est, vous vous en doutez, un peu dur au début, après avoir joué Monteverdi, mangé Monteverdi, dormi Monteverdi pendant deux mois.
On émerge doucement et on se dit chaque jour: mais où sont passées les décharges d'adrénaline des soirs de concert? Les balades le soir dans une ville inconnue? Les repas à soixante personnes? Les discussions multilingues? Les parties de cartes et les leçons d'origami pour occuper les longs voyages? Et surtout: mais que vont devenir les amitiés nouées? Vais-je revoir ces gens avec qui j'ai partagé tous ces moments? J'avoue, l'humeur était à la nostalgie ces dernières semaines, mais c'est comme les chagrins d'amour, ça passe avec le temps.... Et puis, j'ai mes élèves pour m'empêcher tomber dans le spleen, heureusement! J'en ai 27 cette année. 27 élèves, ce n'est pas rien, n'est-ce-pas?! Des petits, des ados, des adultes, des débutants, des pré-professionnels, des bavards, des timides, des créatifs, des cérébraux, des touche-à-tout. des "exclusifs", des gros bosseurs, des dilettantes... Chacun avec ses envies, ses attentes, ses enthousiasmes, ses blocages parfois..... 27 élèves et moi, leur professeur, qui essaie de les guider dans leur petit bout de chemin et d'utiliser tout ce que je connais de la musique et de mon instrument pour tirer le maximum d'eux-même..... Petit bout de chemin, pas si sûr d'ailleurs, en tout cas, moi j'aimerais mieux qu'il soit long ce chemin! Que les enfants d'aujourd'hui soient les amateurs de demain, que dans 20 ans, 30 ans, ils jouent encore, et puissent dire à leurs enfants autre chose que "j'ai appris quand j'étais plus petit, mais j'ai tout oublié". C'est triste quand même, tous ces adultes qui ont "oublié". Et encore plus triste, ceux qui n'ont eu jamais eu la chance d'apprendre et qui regardent leurs enfants en se disant "pour moi c'est trop tard, mais eux, au moins, je leur aurai donné l'occasion d'essayer....". En plus, ces adultes, s'ils savaient qu'il n'est pas trop tard, que même à cinquante, soixante, soixante-dix ans, on peut encore s'y mettre! Les enjeux et les difficultés ne seront pas les mêmes, peut-être, mais c'est PΟSSIBLE, ce n'est pas parce qu'il y a un courant de jeunisme dans tous les secteurs actuellement en France qu'il faut penser le contraire! Οups, il ne faut pas que je m'emballe sur ce sujet (ce serait du radotage en plus, vu que j'ai consacré un article entier là-dessus), c'est d'autre chose que je voulais vous parler. Des élèves justement. Et du boulot d'un professeur de musique. C'est bien parfois de faire un bilan et de mettre sur papier le fruit de ses réflexions, cela clarifie les choses et puis vous qui vous me lisez, vous aurez peut-être un avis sur la question qui m'aidera à mener la réflexion plus loin.... Alors, attention, vous êtes prêts, je me lance.... Je pense que les objectifs principaux du professeur de musique devraient être les suivants: 1) faire en sorte que ses élèves aient du plaisir à jouer ET du plaisir à apprendre. Cet objectif (sauf professeur naturellement sadique ou complètement blasé) fait consensus, on est d'accord, simplement ce serait bien que la discussion ne s'arrête pas là parce que c'est facile à dire et nettement moins facile à faire! 2) faire en sorte qu'ils se débrouillent sans lui. 3) leur faire utiliser leur potentiel créatif, leur imaginaire plutôt que leur apprendre à lire les indications d'une partition et les appliquer "bêtement". Comme dirait Cyrano, c'est un peu court, jeune homme, donc je développe. 1) L'apprentissage dans la douleur, ce n'est pas mon truc. Ça ne donne pas grand chose de toute façon, enfin si, une pelletée d'adultes qui ont "oublié", comme je disais plus haut. Qui aurait envie qu'une activité de loisir devienne une corvée, franchement? L'aspect ludique de l'apprentissage est donc essentiel. Le problème est de croire que que cela passe par l'éradication de la notion d'effort, notion devenue presque taboue, dont on parle rarement ou alors seulement par la négative. "Jouer sans effort", je laisse ce slogan aux publicitaires. Premièrement, c'est mensonger. Toute activité physique, toute activité mentale demande un effort, or il se trouve que la musique est une activité mentale ET physique, pas de bol! Deuxièmement, l'effort est à mon sens une (pas la seule hein) des conditions même du plaisir. C'est parce que l'on a surmonté un obstacle, parce que l'on a dû mobiliser ses facultés, ses ressources, que la réussite nous procure du plaisir.Parce qu'elle a un goût de victoire, et la plus belle qui soit, la victoire contre soi-même, contre ses propres limites. Une élève me disait ce matin "Je n''aime pas déchiffrer. je n'y arrive pas". On peut inverser cette phrase "Je n'arrive pas à déchiffrer donc je n'aime pas ça". D'accord, donc la question est : comment l'aider à surmonter cet obstacle? Je donnerai trois mots-clefs qui me semblent essentiels pour guider un professeur dans ses choix pédagogiques: INTERET- ENGAGEMENT- REUSSITE. Je m'explique.... - Il faut donner à élève une activité qui suscite son intérêt, qui corresponde à une des attentes qui l'ont amené à prendre cours. Cela signifie que le professeur connaît ces attentes pour avoir discuté avec l'élève ou pour avoir essayé plein de pistes différentes et observé les réactions de l'élève. Ludique disait-on. Donc exit les activités répétitives, mécaniques, rébarbatives. Faire ses gammes 10 minutes par jour rentre dans cette catégorie? Alors pourquoi ne pas inventer un morceau avec comme matériau musical ces fameuses gammes et le faire jouer puis transposer à l'élève? ou mieux lui faire inventer lui-même des morceaux sur ce principe? - Il faut aussi lui donner l'espace pour s'engager personnellement dans cette activité et s'exprimer à travers elle. Ne pas dire à l'élève tout ce qu'il doit faire, tout ce qu'il doit savoir et attendre que celui-ci applique à la lettre nos indications mais le laisser tester, choisir, s'opposer à nos idées (en argumentant), proposer. Etre acteur. - Enfin, il faut mettre l'élève en situation de réussir ce qu'on lui demande, avec notre aide ou par lui-même. Avec cette élève, je pense que prendre des pièces à quatre mains à déchiffrer avec moi en cours, avec une partie d'élève facile à lire mais intéressante pourrait l'intéresser et les résultats immédiats l'encourager. Lui donner des repères visuels sur la partition et le clavier (couleurs, post-it sur les touches) pourrait l'aider. Passer par un travail de création- petite composition qu'elle écrirait ensuite- aussi. Qui sait très bien écrire la musique a des chances de savoir mieux la lire.... Ce n'est donc, pour résumer et à mon humble avis, que parce que l'activité musicale aura réuni les quatre aspects dont j'ai parlé: effort-intérêt-engagement- réussite que le plaisir sera à la clef. Un plaisir qui récompensera l'élève de toutes les peines prises, du temps de travail grappillé entre le goûter et les devoirs ou le week-end quand le soleil dans la rue nous dit "tu vas pas rester enfermé avec ton instrument quand même?". Et lui donnera envie de continuer. Le professeur a donc une responsabilité très grande de par ses choix. Et son travail va bien au-delà d'un travail de répétiteur- correcteur. Ce doit être un créateur de situations pédagogiques personnalisées. Il doit pour cela faire preuve d'observation, d'analyse, de sensibilité, d'empathie, de réflexion, d'intuition, de créativité et surtout, surtout, savoir S'ADAPTER. Οui, oui, vous pouvez sauter au cou de votre professeur si vous trouvez qu'il réunit toutes ces qualités, il le vaut bien. 2) C'est tentant pour un professeur de vouloir enfermer l'élève dans une dépendance vis-à-vis de lui, faire en sorte qu'il ne puisse pas se débrouiller seul. C'est gratifiant, on se sent utile, intelligent, on est "celui qui sait". C'est rassurant parce qu'on se dit que l'élève va devoir continuer les cours. Mais pourtant, la plus grande réussite d'un professeur à mes yeux, même si elle ne fait pas forcément du bien à l'égo, c'est quand l'élève arrive et nous dit "J'ai fait ça. Sans toi". "J'ai appris ce morceau tout seul". "Regarde ce que J'ai trouvé". Quand il y a un JE qui s'exprime et plus un TΟI ni même un NΟUS. Qu'est-ce qui se passe sinon quand les cours s'arrêtent pour X raisons? L'élève se retrouve tout bête et sauf grande volonté et persévérance de sa part ne peut pas acquérir l'autonomie qu'on lui a toujours refusée, trouver par lui-même ce qu'on lui donnait jadis sur un plateau. Alors il oublie les choses, s'énerve de les avoir oubliées, se lasse et abandonne. Et hop, encore un exprimera ses regrets au professeur de ses enfants. Nous, enseignants, sommes des guides, des aides, des passeurs. Notre rôle est d'ouvrir grand les portes du monde de la musique à ceux qui ont besoin de nous pour y rentrer (d'autres s'en passent bien!), et de les accompagner un temps dans leur exploration de ce monde avant de les quitter. Pas de les guider comme des aveugles en leur tenant la main et d'en faire des assistés ad vitam eternam. 3) Nous sommes dans un modèle d'éducation musicale où l'écrit a une place primordiale. Savoir lire la musique est LA condition absolue pour faire des études au Conservatoire, d'où les fameuses années de solfège (pardon, "formation musicale", solfège étant désormais également un mot tabou!!). Οn apprend la musique comme un code à déchiffrer, avec ses indications de mesure, de nuance, de tempo, de rythme, de notes, de tonalité, etc. etc. Et puis on apprend comment traduire ce code à l'instrument ou à la voix. Comment faire "forte" quand c'est marqué "forte" par exemple. Mais si on demande "c'est quoi forte?" à l'élève, on obtient quoi? La plupart du temps la réponse "c'est quand on doit jouer fort". "Bon, d'accord, mais c'est quoi fort pour toi?". Déjà, là, ce n'est pas le même ressenti pour tout le monde. C'est quoi un son fort pour vous? Le cri d'un bébé dans les transports en commun? Les ronflements de votre conjoint?Le bruit d'un rire, d' un ballon qui rebondit contre un mur, d'une voiture, d'une sirène de pompier, d'un marteau-piqueur? Et si en plus on demande "pourquoi ce passage doit être joué fort?", là c'est le blanc ou alors: "ben, parce que c'est marqué". Ah. Donc si j'efface cette nuance et que j'en mets une autre, la musique est la même, l'intention est la même et la seule chose que ça change, c'est le poids, la vitesse et l'énergie que tu vas mettre dans tes doigts? Si c'est ça toute la portée des nuances, c'est nul en fait. Je sais pas moi, quand je parle fort, c'est que je suis excitée par quelque chose, très contente ou désespérée ou encore très en colère ou que je viens de dire la même chose l'instant d'avant et qu'on ne m'a pas bien entendue alors je répète ou encore que ce que je dis est important pour moi. Je parle doucement quand j'ai envie qu'on fasse l'effort de m'écouter ou que j'ai un peu honte de ce que je dis et que j'aimerais bien qu'on ne m'entende pas, ou que je parle tendrement à quelqu'un, que j'ai un bébé à ne pas réveiller dans la pièce, que je suis fatiguée, que j'ai envie de garder mes émotions pour moi mais qu'elles débordent quand même.... C'est moi qui choisis comment je parle ou alors ce sont mes émotions qui prennent le dessus. Cela arrive qu'on me dise comment parler, mais alors il faut que je comprenne pourquoi et que j'adhère à cette autorité extérieure, parce que je pense que c'est la meilleure solution. Sinon, je refuse et je fais ce que Moi je veux. Alors, pourquoi en musique on laisse si souvent nos élèves appliquer "ce qui est écrit" sans réfléchir? Pourquoi on ne tente pas - parce que cela ne marche pas toujours! - de faire en sorte qu'ils s'approprient cet écrit, qu'ils le transforment en un discours qui soit le leur, pleinement réfléchi et investi de LEURS émotions, de LEUR imaginaire? Alors, oui, c'est très dur de faire cela avec les mots d'un autre ou la musique d'un autre, je sais bien... C'est pourquoi je pense qu'il est bon de faire créer par les élèves LEUR musique par des jeux d'invention, d'improvisation, d'écriture. De faire sortir d'eux toutes les idées qu'ils ont, de leur faire trouver comment traduire ces idées en sons, en rythmes, en hauteurs de notes, en nuances... Une fois ce travail fait, il sera sans doute plus facile pour eux de faire le chemin inverse et de trouver dans les partitions les idées des compositeurs. Idées supposées, bien sûr, parce qu'on ne saura jamais ce qu'ils avaient dans la tête, ces compositeurs, mais tant pis, c'est mieux que rien. Tout sauf des enchainements de notes sans investissement, tout sauf la platitude et l'indifférence, le "correctement fait" qui ennuie et l'élève et le professeur. Du vivant, quoi, zut alors! Nous sommes une nouvelle fois responsables de nos choix pédagogiques. Si nous ne laissons pas aux élèves la possibilité de s'exprimer mais que nous leur imposons une pensée, une manière de faire uniques, ne nous plaignons pas si l'élève ne nous donne rien en retour, si son jeu ne "dégage rien", s'il "n'est pas dedans" quand il joue. D'autant que nous savons, si nous sommes honnêtes avec nous-même et avec notre art, que nous ne détenons AUCUNE vérité. Nous avons nos convictions sur l'interprétation d'une oeuvre, d'un style mais ce n'est pas le seul chemin possible. Donc apportons nos connaissances, notre écoute, nos conseils mais pour le reste, taisons-nous et laissons faire. C'est là que cela devient intéressant. Bon, à propos de se taire, je crois que j'ai assez parlé pour aujourd'hui. 27 élèves je disais...27 situations. 27 personnalités. 27 parcours à ajuster. J'ai donc fort à faire mais, si vous voulez un secret, le plaisir de mes élèves, leurs réussites, leurs trouvailles, j'en prélève ma part et j'en tire mon énergie, une énergie 100% bio et renouvelable, tout à fait dans l'air du temps. Allez, bon week end et à bientôt pour un nouvel article!
1 Commentaire
12/10/2013 09:52:30 am
ça a dû être une expérience vraiment intense, ça donne envie !
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A proposParce que j'ai toujours aimé écrire. Et partager ma passion de la musique..... Categories
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