J'ai toujours été étonnée que nous, musiciens professionnels, puissions penser que nous enfermer dans une salle de travail pendant 8h d'affilée chaque jour que Dieu fait peut nous amener à produire le meilleur de nous-même.
Outre le fait que, la concentration et le corps humain ayant leurs limites, cela revient à s'infliger "volontairement" un mini-marathon quotidien qui laissera à terme des séquelles, il me semble qu'à moins qu'un travail aussi intense et solitaire ne nous mette dans un état de méditation permettant d'atteindre notre moi profond et découvrir des émotions insoupçonnées, l'on en ressort plutôt atrophié du sentiment. Et que si le concert a venir sera d'une propreté impeccable, il aura aussi la saveur fadasse d'un légume de grande surface. De quoi avons-nous peur, comment en sommes nous venus à considérer notre instrument comme une bouée à ne jamais lâcher sous peine de couler? Après 15, 20 ans de pratique, allons-nous vraiment perdre nos capacités en un jour, ni même en une semaine de relâche? Que cherchons-nous à faire quand nous nous acharnons ainsi? A atteindre la perfection technique absolue? La belle gageure! Ne rêvons pas, nous n'atteindrons jamais l'idéal artificiel du disque. Nous sommes des êtres humains, l'erreur est notre lot. A jouer plus vite, plus propre, que X ou Y? La belle affaire! Mais l'art se meurt quand il ne s'agit plus que de faire du "mieux" et non de faire du "nouveau"! C'est l'esprit de comparaison permanent, la crainte de l'erreur instillés depuis notre plus jeune âge qui tuent à petit feu notre créativité et notre audace. Combien osent encore faire en concert ce qu'il n'ont jamais tenté pendant les répétitions? Combien de musiciens talentueux perdent leurs moyens quand il s'agit d'improviser, de quitter le cocon rassurant de la partition et prendre le risque- horreur!- de s'égarer,voire de se tromper? La fameuse angoisse de la page blanche ne touche pas que les écrivains, n'est-ce pas... Combien encore écoutent les versions dites de référence pour "avoir une idée de l'oeuvre" avant de la jouer, réduisant le champ des possibilités d'interprétation de l'infini à la pluralité? Combien enfin se sentent coupables de ne pas avoir fait leurs heures à la fin de la journée et se disent qu'ils se rattraperont le lendemain? Je ne crois pas en une Muse qui viendrait animer d'un souffle de vie nos rabâchages techniques. Je ne crois pas qu'assiéger quotidiennement notre instrument comme l'on mène une bataille soit la clef de tout. Je crois en nous, en notre vécu, en notre richesse intérieure. Je crois en la Curiosité. Et celle-ci ne se nourrit pas de l'air de nos studios. Alors prenons le risque, sortons de notre bulle. Allons nous ouvrir au monde, aux autres arts, et nous en nourrir jusqu'à l'éclatement. Observer des tableaux et des sculptures, en saisir les lignes, les courbes, les couleurs; nous inspirer des mouvements des danseurs, des gestes des acteurs; admirer l'équilibre d'une architecture et la grande Harmonie de la Nature. Chercher la musique partout, dans les bruits du dehors, les pas d'un passant, le rythme de notre respiration... Rire, pleurer, aimer, souffrir, parcourir la gamme des émotions qu'offre la rencontre avec l'Autre. Et puis revenir à notre clavecin, notre piano, notre violon, forts de ces expériences, mettre nos sens en éveil et chercher. Travailler puis laisser reposer. Accepter de laisser faire. Que l'instrument respire, que l'on soit à nouveau surpris de ce qu'il nous offre, lui l'éternel complice mais aussi l'éternel indompté. Brisons à tout prix cette routine qui nous étouffe,Nous, Lui et la Musique, et couvre de cendres grises les flammes de ce trio amoureux.
2 Commentaires
Diot
10/18/2012 05:07:26 pm
Eh bien; voici une personnalité qui s'affirme (on sent le fruit de l'expérience) et avec un réel don d'écriture; décidément ma fille me surprendra toujours
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10/18/2013 05:06:03 am
Found this link while searching Google, thanks
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A proposParce que j'ai toujours aimé écrire. Et partager ma passion de la musique..... Categories
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