Bonjour à tous et toutes, J'espère que vous passez un bel été et n'êtes pas accablés par la chaleur. Aujourd'hui, je vais vous raconter mes débuts de bricoleuse. Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais j'avais acheté d'occasion un grand clavicorde 5 octaves basé sur un modèle Friederici. J'en avais profité pour vous présenter cet instrument encore rare... J'étais alors très contente de mon achat, mais dans la pratique il s'est avéré que j'avais des petits soucis. D'une, pour en jouer (au-delà du fait qu'il s'agit d'un instrument différent du clavecin en termes techniques, je n'étais parfois pas très confortable, notamment dans les aigus, où j'avais l'impression de ne pouvoir obtenir un volume sonore satisfaisant qu'en sacrifiant totalement la justesse), de deux pour l'accorder. En gros, j'y passais beaucoup de temps, je finissais avec un mal de dos pas possible (1,70 environ d'envergure entre la touche la plus grave et sa cheville) et ce n'était pas juste. Sans compter qu'une corde a fini par casser et que je ne savais pas comment la remplacer (les cordes sont insérées dans un tressage de feutre). J'en étais arrivée au point où je pensais le revendre et en acheter un plus petit avec une corde par note, non lié, simple, léger et pas casse-pieds. Mais... En janvier, j'ai organisé des journées clavicorde/pianoforte et j'avais invité pour la partie clavicorde la factrice Renée Geoffrion. Vous vous doutez bien que mon clavicorde étant sur place, j'en ai profité pour demander une petite expertise, gentiment acceptée. Renée teste, remplace la corde, observe: verdict, c'est un bon instrument voire un très bon mais il aurait besoin d'un gros réglage! Deux solutions s'offrent alors à moi, soit je lui remets directement, elle s'en occupe et me le ramène quand elle est de passage dans la région, soit je l'amène dans son atelier et je m'occupe des réglages sous sa direction. Devinez laquelle j'ai choisie? :-) Nous voilà donc en juillet: direction la région de Limoges avec le biniou dans la voiture, pour 6 jours de révision intensive. Comme vous le voyez, le séjour s'est passé dans un mignon petit village, avec des maisons à colombages, torchis et pierres apparentes. Seul hic pour les musiciens, les escaliers! Etroits et surtout très raides, une vraie galère pour monter des instruments lourds (heureusement que les palans existent!) 1er jour: Arrivée 16h, petit thé de bienvenue avec gâteau au chocolat et sorbet au sureau (miam). A 18h: on commence après avoir installé le clavicorde sur une table. ![]() Etape d'observation: - On établit un plan de cordage (longueur de certaines cordes et diamètres de toutes) à l'aide d'un micromètre Palmer. Les relevés montrent que dans la zone medium, les diamètres ne sont pas logiques (le sib est d'un diamètre plus petit que le si alors que la corde est plus longue). En comparant avec les diamètres des cordes de ses propres instruments, Renée note que l'instrument est à plusieurs endroits encordé avec des diamètres trop faibles. Il y aura donc des changements de cordes à prévoir dans tout le medium et également dans les basses. La dernière dixième dans l'aigu ne changera pas. - Ensuite, à l'aide d'un réglet en fer, nous regardons la distance entre tangente et corde. Ce qu'on appelle tangente est cette tige de métal que vous voyez ci-dessous au bout de la touche. c'est elle qui vient frapper par en-dessous la corde pour la mettre en vibration. Là encore, c'est un peu l'anarchie : un coup 3mm, un coup 4, 5 voire 6mm. Ce sera un bon 5mm pour les aigus et un petit 5mm pour les graves. Il faudra donc manier le marteau.... - Enfin, le toucher n'est pas très agréable car il y a trop de marge après l'attaque de la corde (la touche pouvant descendre plus bas qu'il ne le faudrait, le son fait une sorte de boooing et la justesse en est altérée). il faudra donc installer un "stoppeur" sur le début des cordes, au niveau du tressage rouge. Ce stoppeur sera fabriqué sur mesure pour l'instrument. Voilà, il est déjà 21h30, repas, dodo.... 2e jour : Lever 8h, arrivée dans l'atelier 9h. C'est parti pour les Changements de corde. Pour cela il faut : 1) Faire des bouclettes! Révision technique obligée : elle doivent comporter 6 spires avec les cordes qui s'enroulent bien régulièrement - et pas une qui fait le boulot et l'autre qui se repose- ce qui demande d'avoir une tension égale entre les deux bouts. On finit par 3 petits tortillons bien serrés qui éviteront que la bouclette se déboucle au premier accord. Bon, soyons honnêtes, il y a eu des ratés, pas mal de ratés, et certaines que je jugeais correctes se sont un peu débouclées au fur et à mesure des accords (vive la superglu placée délicatement le long de la bouclette!) 2) Détendre la corde à remplacer, faire un hameçon avec l'extrémité de la nouvelle corde, le passer dans la bouclette de l'ancienne et tirer vers la droite de manière à ce que la nouvelle corde passe tranquillement à travers le tressage (malin, car si on enlève juste l'ancienne corde, on galère après pour faire passer la nouvelle!) 3) Accrocher la bouclette, couper la longueur voulue (laisser dépasser la longueur d'une main -du bout des doigts jusqu'à l'emplacement de la montre- derrière la cheville) 4) retirer la cheville en la dévissant avec une clef d'accord, mettre un petit bout de papier -carte de visite, c'est bien- pour remplir le trou qui a pu être agrandi pendant l'opération 5) Enrouler la corde autour de la cheville (sans trous la cheville: plier un bout de 1,5/2 cm, placer la cheville tête à droite dans le creux de ce pli, faire un premier tour en ayant soin de faire croiser la corde tendue et le bout replié, continuer les tours en les serrant bien, arrivée à un tour ou deux du trou de la cheville, replier le petit bout vers la droite et finir. Placer la cheville en gardant toujours la tension de corde, l'enfoncer avec un marteau, retirer ce qu'il reste du petit bout. Accorder. Cela m'a pris la matinée et un bout de la soirée pour changer l'équivalent d'une octave (il ne faut pas oublier que pour une note, sur un clavicorde, il y a deux notes à changer, donc cela représente 24 cordes). Sur la photo ci-dessous on voit les débuts du changement: les nouvelles cordes sont les plus dorées (elles sont en laiton). On peut observer que certains enroulements de cheville sont mieux faits que d'autres, par exemple pour les deux qui sont placées autour du D#, celle de gauche est un peu trop lâche tandis que la droite est très bien). M'enfin, cela marche quand même... Voici le matériel utilisé pour tout cela : crochet, pince coupante, scotch pour mettre autour du doigt et éviter frictions et coupures, lame pour couper des petits bouts de carte de visite, rouleau de corde, marteau et pince pour récupérer les bouts en trop. Le réglet est l'intrus, il m'a servi plus tard, pour calculer l'écart nécessaire entre tangentes et cordes. ![]() Aujourd'hui, je finis tous les changements de cordes que je peux faire seule. Au final, on aura remplacé presque 40 cordes et monté une partie des diamètres 34 initiaux en 38 et 36, une partie des diamètres 30 en 34 et 32. Cela sonne déjà mieux. On passe donc à la fabrication du stoppeur : Renée prend les mesures, choisit un beau morceau de chêne et le découpe. Je l'aide ensuite à le passer dans la raboteuse et la scie pour qu'il ait l'épaisseur et la forme voulue. Le voici à ce moment là: Ensuite, à l'aide d'une cale à poncer, je rabote les angles qui ne font pas très joli et j'obtiens un bel arrondi. Je ponce le bois au papier 180 puis au 220 pour obtenir un bois lisse et doux au toucher. Ensuite, nous faisons sur des restes de bois que j'ai préparé de la même façon des essais de vernis. Il faut se rapprocher au maximum de la couleur du clavicorde. Nous optons donc pour un vernis assez clair auquel nous rajoutons un peu de teinture orangée. Après séchage, je passe le bois au papier 400 pour enlever les dernières imperfections. Puis cirage (cire transparente), séchage 3 heures et on fait briller avec un bout de pull en laine (toujours recycler ses vieux pulls!). et voilà le travail ! Nous avons également fait ce qu'on appelle un contre-pointage. Les cordes passe, entre les bouclettes et la cheville, par un chevalet dans lequel sont enfoncées des pointes appelées sillet. Il est bien qu'elles fassent un très léger angle à cet endroit, ce qui n'était pas le cas sur mon instrument, à l'exception des cordes aigues. Le contre-pointage, c'est-à-dire l'insertion d'autres sillets en sens inverse des premiers a permis de créer cet angle. Ci-dessus les premières insertions, ci-dessous le contre-pointage fini (nous avons passé une rasette pour égaliser les hauteurs, en faisant bien attention de ne pas toucher les cordes car elles n'y résisteraient absolument pas....). 4e jour : Il est temps de s'attaquer au problème des tangentes. Pour cela, je dois les enfoncer au marteau. Il faut bien sûr tout d'abord retirer les touches ce qui n'est pas si simple : d'abord, les soulever de leur pointe en faisant attention aux cordes, les tirer un peu vers soi, les faire basculer et les ramener. L'important est de ne pas forcer sur les cordes. Ensuite, je mettais une marque pour indiquer jusqu'où elle devait s'enfoncer. Et bim, coup de marteau et....ben, rien, voilà la première tangente qui n'a pas bougé d'un poil. Je retente, boum, pliée. Ach, mensch! Je la redresse avec les doigts, je la maintiens bien, ca y est elle est rentrée. La suivante ne pose aucun souci, pour celle d'après je suis obligée de la limer car elle est vraiment récalcitrante, j'emploie pour cela une grosse lime, puis une moyenne puis une petite et je finis par poncer au 400 pour que ce soit lisse. Allez, plus que 58.....Ce n'est pas mon travail préféré, mais le résultat est là, avec une course suffisante avant l'attque, je peux avoir plus de puissance sonore. Nous avons fait également un test avec un autre type de tangente (plaqué or), mais cela n'a pas été probant au niveau de la qualité de timbre. Par contre, cela aurait pu être joli, non? Pendant que je faisais cela, Renée s'occupait de fabriquer des cordes filées grâce à un appareil qu'elle a conçu elle-même (oui, c'est la MacGyver du clavicorde!). Alors, les cordes filées sont des cordes de laiton sur lesquelles on enroule une autre corde (ici en cuivre). Une opération délicate car il faut que l'enroulement soit d'une régularité exemplaire et adhère bien à la première corde. On utilise les cordes filées pour les basses, cela donne un meilleur son et une plus grande projection. Nous avons fait la première quinte grave en cordes filées, donc de FA à DO. Enfin, le soir, j'ai nettoyé et ciré mon clavicorde, les deux en même temps puisque j'ai mis le cirage transparent sur de la laine d'acier. Il est tout beau, et il brillera encore plus le lendemain après frottage énergique, comme vous pouvez le voir ici: 5e jour: Renée finit ses cordes filées. Pendant ce temps, je m'occupe d'enlever le tressage blanc car il n'était pas de super qualité et surtout que cela faisait moche d'avoir deux couleurs. Je fais cela grâce à une touillette à café en bois, taillée en biseau (recyclage toujours!), en faisant attention aux cordes. Je fais le nouveau tressage, 2 cordes par dessus, 2 cordes par dessous, encore un coup, petit retournement pour partir dans l'autre sens, quand j'arrive proche des bouclettes, je divise ma largeur de tressage en 2 pour pouvoir faire plus d'allers-retours, et voilà le travail: Je colle aussi une bande de feutre rouge sur la moitié du dessous de mon stoppeur, en laissant dépasser de 2 mm environ. Le voilà installé, reste à le fixer par deux pointes à gauche et un joli crochet à droite. Reste à nettoyer le clavier qui est loiiiiin d'être très propre, comme le montre l'avant-après ci-dessous. Je fais cela tout simplement avec de l'eau claire, un chiffon propre et de l'huile de coude. Puis, nettoyage du reste du clavicorde pour enlever limaille, poussière et poussière de bois. Nous avions pris la peine de protéger la rosace, cela aurait été dommage que tout tombe dedans. Et enfin, un bon accord et quelques essais de morceaux, pas de doute cela sonne mieux. Voilà la "bête" dans son nouvel état. Maintenant, il faudrait que vous l'entendiez, cela pourrait venir, j'ai bien l'intention de m'y atteler mais il y a un hic: c'est une immense galère de prendre le son d'un clavicorde! Bilan des courses : non seulement j'ai eu un super accueil de la part de Renée et son mari (encore un grand merci), mais en plus je me suis bien amusée, je n'ai pas vu les quelques 9-10h de travail par jour passer, j'ai appris plein de trucs (je repars avec du matériel pour pouvoir faire des réglages et dépannages) et en plus, j'ai un instrument bonifié : que demande le peuple?
A vrai dire, cela m'a tellement plu, que j'aimerais bien trouver maintenant un facteur de clavecin qui accepterait que je passe une semaine en atelier à observer une révision intégrale de clavecin (construction cela m'intéresserait aussi, mais secondairement, je préfère voir quelles sont les pistes possibles en cas de problème -répétition, touches qui ne remontent pas, fentes, réglage des jeux etc.- sur un clavecin et comment résoudre ces problèmes). Avis, si un facteur me lit..... J'espère que ce petit compte-rendu vous aura plu et que vous aurez également appris des choses. Bon 14 juillet demain, et à très vite! PS: j'ai pris une photo de tout le matériel utilisé pendant ces quelques jours, cela en fait du monde, non?
7 Commentaires
ck
8/5/2017 08:22:05 am
Quelle magnifique expérience. Absolument passionnant !!!!
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PY
8/15/2017 12:45:42 am
Aaaah, pas bête la super-glue sur les boucles. J'ai justement une corde qui a une bouclette faiblarde et que je rechigne à changer depuis 1 mois. Allons essayer ça :)
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Pelletier-Casalta Anne
10/3/2018 08:44:20 am
je possède pour ma part un clavicorde 5 octaves copie Silbermann de 2015, facteur Yves Cretinon ( Grenoble). Je lui trouve un joli son, mais malgré plusieurs stages de clavicorde en Belgique, je galère un peu pour l'entretien...J'ai donc trouvé votre démonstration très intéressante. J'aimerais quand même trouver un ou une spécialiste car je me pose des questions sur le tressage que je trouve plutôt brouillon, ce qui me semble poser quelques problèmes de sons parasites sur certaines cordes, particulièrement les plus basses. Par ailleurs, je ne suis pas toujours sûre de la pertinence du diamètre dans certaines zones. J'habite dans le Haut Var, mais me rends assez souvent à Marseille... Si vous avez des idées...En tout cas, merci pour tous ces renseignements et pour les photos! Anne
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Hélène
10/7/2018 01:27:00 am
Bonjour,
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Louis-Olivier
5/21/2020 12:25:36 pm
Bonjour,
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Hélène Diot
5/25/2020 12:44:05 pm
Cher Louis Olivier,
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Emmanuel Sales
5/7/2021 08:36:37 am
Merci pour ce récit très vivant qui met bien en valeur les qualités de cet instrument subtil et sensible à la fois.
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A proposParce que j'ai toujours aimé écrire. Et partager ma passion de la musique..... Categories
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