Je n’ai pas tant que cela l’occasion de voyager pendant l’année, vu que l’enseignement m’astreint à une présence hebdomadaire de trois jours dans le Grand Nord et que les vacances sont assez studieuses ou familiales. Néanmoins, j’ai fait quelques excursions hors de France qui m’ont bien plu et que je vais vous raconter. Remontons le temps : nous sommes en octobre 2015, les températures sont encore douces mais la grisaille s’est installée sur Lyon. Qu’importe, ma destination du jour est l’Italie! Je ne pars pas seulement pour synthétiser de la vitamine D, m'améliorer dans la langue de Dante ou manger de manière totalement irresponsable d’énormes glaces et pizzas (ceux qui me connaissent sont en train de sourire, mais vous avez tort, les cocos !), je pars pour affaires musicales. Remontons encore trois mois en arrière: nous sommes début août, je suis à Bruges. Pour le premier tour de ce fameux concours étaient proposés au choix des candidats cinq instruments. Le programme du premier tour est composé de trois morceaux de styles et époques différents, soit entre deux et quatre instruments à essayer à chaque fois, sans compter les registrations à tester. Il y a très peu de temps, juste 20 minutes, pour répondre à ces trois questions : - Est-ce que la pièce passe bien (tessiture, tempérament, style) sur cet instrument ? - Est-ce je me sens confortable ? - Est-ce que l’instrument me permet de m’exprimer pleinement? Autant vous dire que cela va très vite et que cela fonctionne au coup de cœur! J’ai au final choisi de jouer sur un Couchet et un Mietke construits par Bruce Kennedy, ainsi que sur un Taskin fait par l’atelier tchèque Becicka, Huttl et Sefl. J’ai joué au deuxième tour sur un clavecin italien toujours de Bruce Kennedy et à nouveau sur le Mietke. En finale, j’ai choisi un Marc Ducornet, pour faire honneur à la facture française et aussi car c’est l’instrument sur lequel j’avais pu répéter un peu la finale avant l’annonce de la sélection et que j’avais aimé sa sonorité et son confort de jeu. Jouer sur ces instruments était fort agréable et enrichissant. Il se trouve que depuis quelque temps je songeais à acheter un autre clavecin et cette expérience m' y a décidée. En septembre de cette année, je m'y suis attelée pour de bon, et quand j’ai commencé à réfléchir au facteur qui pourrait me le construire, j’ai pensé à Bruce Kennedy, le facteur dont j'avais apprécié plusieurs instruments lors du concours. Après quelques mails échangés, ce dernier m’a alors gentiment invitée à venir passer quelques jours à Montisi pour les retrouver, car ils font partie de la collection de la Piccola Accademia. Montisi, pour ceux qui ne connaissent pas, est un joli petit village de Toscane où l’on ne s’attendrait pas forcément à trouver un atelier de clavecin, une académie où ont lieu des concerts, des résidences de clavecinistes et des masterclasses (avec comme professeurs, excusez du peu, Christophe Rousset, Pierre Hantai, Skip Sempé, entre autres). Erreur, c'est pourtant bien le cas !! Le village de Montisi La vue de ma chambre Départ mercredi dernier. Cela commence mal. Je déteste l’avion, l’attente, les contrôles, les places minuscules d’Easyjet. Je déteste les trajets de 3h en train, car je passe déjà trop de temps dans les wagons de la SNCF chaque semaine pour aller à Amiens donner mes cours. Et il pleut à l’arrivée. Bouhhhh. Heureusement, il y a le sourire du chauffeur Riccardo, qui est venu me récupérer à Sinalunga pour me conduire jusqu’à Montisi car il n’y a pas de bus pour aller de l’un à l’autre. Suit l’accueil très gentil de Bruce qui m’invite dans un restaurant typique. Bruschette pour déguster différentes huiles d’olives (spécialité locale), pasta à la truffe blanche, polpettine aux légumes, dolci del giorno. Et comme le patron est passionné de vin, une bonne bouteille de blanc pour faire passer. Mmh, ça va déjà mieux. Le village de Montisi est très joli de nuit, alors j’attends le jour avec impatience pour le découvrir. Arrivée à l’Accademia. Première salle, un Blanchet choisi par le gagnant du concours et le Mietke. Deuxième salle, le Couchet. Troisième, l’Italien. Et quatrième, un virginal qui était chez Gustav Leonhardt. Tout ça pour moi, whaou, ça va beaucoup, beaucoup mieux, la fatigue est oubliée ! Je ne résiste pas à l’intention de jouer tout de suite. Et à une heure et demie du matin, soit 3h plus tard, je me rappelle qu’après le long voyage que j’ai fait, il serait bien de penser à arrêter de jouer et à aller me coucher. Je vous ai mis ci-dessus les photos de trois des instruments, je n'ai pas réussi à prendre des photos convenables des deux autres à cause de leur taille ou de contre-jour, mais vous pourrez les trouver sur le site www.piccolaaccademia.org. Le Blanchet, copie d'instrument français du XVIIIe siècle Le Couchet, copie d'instrument flamand XVIIe. V. Virginal d'après Ruckers Les deux jours suivants passent à toute vitesse. Petites pauses pour marcher dans le village et les environs, petite sieste pour rattraper le sommeil en retard, quelques leçons d’italien sur mon ordinateur pour me détendre, et du clavecin, du clavecin, du clavecin ! J’ai ramené quelques partitions, j’en déchiffre d’autres sur place. Je joue Bach ou Rameau sur les trois instruments à deux claviers, Frescobaldi sur l’italien, un peu de Sweelinck sur le virginal. Je teste tous les jeux, je passe de l’un à l’autre des clavecins avec le même morceau ou je passe quelques heures sur l’un d’entre eux pour le découvrir plus en profondeur. Un constat général, ils sont tous faciles à jouer, avec une mécanique très bien entretenue Sur les instruments à deux claviers, les huit pieds inférieurs ont une très belle sonorité, chacun de manière bien personnelle, les huits supérieurs réussis aussi même si certains me plaisent plus que d’autres, et j’apprécie que même avec le 4’ en plus le toucher reste toujours très agréable. C'est le Blanchet qui a ma préférence au final, suivi du Couchet et enfin du Mietke, qui tout en étant de très bonne facture, est peut-être le moins caractérisé. J'ai fait un petit enregistrement du Blanchet justement, bon il faut m'excuser j'ai déchiffré la musique sur place donc c'est tout frais, mais c'est juste pour donner une idée du son, pas pour faire un disque! Jeudi et vendredi sont passés.
Le dernier jour, samedi donc, il y a une fête au village, la fête des olives. Les rues sont pleines de gens et de stands de vêtements, bijoux et produits locaux. Ca parle fort, ca chante, ca s’interpelle et se salue de tous côtés. Ambiance ! J’ai l’occasion de visiter l’atelier de Bruce. Cela m’impressionne toujours les ateliers de facteurs, avec des planches de bois dans tous les sens, une table d’harmonie ici, une caisse là, un piètement dans le fond et des machines pour scier, poncer, sculpter…. Mais comment font-ils pour partir d’un matériau si simple et faire des œuvres d’art ? J’avoue, je suis jalouse, j’aimerais bien avoir cette capacité de me représenter le chemin pour passer de l’informe à la forme, du brut au fini. Mais non, ce n'est pas pour moi! Retour à Montisi. C’est Halloween ce soir, même ici les enfants le fêtent, je chemine donc entourée de sorcières et de squelettes réclamant des bonbons. Mince, je n’en ai pas, et je doute que Bruce serait content si je leur offrais des sautereaux à la place ! Je me sens bien dans ce lieu où je suis seule avec ma musique, sans internet, sans télé, juste la vue des oliviers par la fenêtre et les rumeurs du village en sourdine. Je fais durer le plaisir en jouant à nouveau jusque tard, tard dans la nuit. Dimanche. Départ. Déprime. (Ne me plaignez pas, car pour me consoler, je suis allée passer ma journée à Rome rendre visite à un couple d’amis et visiter la ville, il y a pire! ) Et voilà, la chronique est finie! Jeunes clavecinistes pré-professionnels ou professionnels, je vous conseille de vous intéresser à cette Académie qui offre des possibilités de formation et de résidence musicale intéressantes. Bilan 6 mois plus tard: pas de clavecin de Bruce Kennedy chez moi, le destin m’a apporté un autre instrument (enfin, presque, il est encore en Suède, je vous raconterai plus tard), mais je garde de très bons souvenirs de ce séjour et de la rencontre avec un excellent facteur doublé d’une belle personne. Et qui sait, je n'ai pas totalement renoncé à un Blanchet de sa main ;-)
1 Commentaire
BN
3/18/2016 09:44:05 am
Merci pour ce charmant récit, très vivant, le son du Blanchet, grâce à vous bien sur, est très agréable. Continuez à nous narrer vos belles aventures!
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A proposParce que j'ai toujours aimé écrire. Et partager ma passion de la musique..... Categories
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